La rente idéologique

par | Avr 30, 2019 | Editos | 0 commentaires

« Une justice inspirée par la pitié porte préjudice aux victimes » (Talmud)

Nous l’avons déjà affirmé : l’injustice profonde qui entoure l’application de la prestation compensatoire viagère provient du refus métaphysique  de la réforme de la loi.
En 1975, l’excellent doyen Carbonnier fait promulguer une nouvelle loi sur le divorce. La loi du 11 Juillet 1975 procède à une refonte en profondeur de la législation relative au divorce.
Elle s’inscrit dans le contexte de libération de la société exprimée lors de Mai 1968. Cette réforme est encouragée par le jeune Président V.Giscard d’Estaing qui vient d’être élu, après avoir été un emblématique ministre de l’économie et des finances (çà rappelle quelqu’un ?).

Cette loi veut « dédramatiser » le divorce et régler définitivement les conséquences lors de son prononcé. Elle institue le divorce pour rupture de la vie commune et surtout réintroduit le divorce par consentement mutuel instauré par les révolutionnaires de 1792 (l’égalité des sexes était déjà un trait majeur de l’époque).
« La réforme élargit les possibilités de divorce et constitue un compromis entre les adversaires et les tenants de la faute » (Carbonnier)

Dans le contexte du congrès d’Epinay (1971), qui voit F.Mitterrand élu premier secrétaire, et du programme commun avec les communistes (1973), le Garde des Sceaux, Jean Lecanuet, s’efforce d’apaiser les milieux socialo-familialistes et catholiques. Il associe la protection des enfants à celle de l’épouse dont la fonction est liée à une institution familiale législative. La magistrature est totalement acquise à cette ambiance socialo-communiste et à sa politique nataliste. La « harangue de Baudot » diffusée aux élèves de l’école de magistrature en 1974 va marquer irrémédiablement la loi Carbonnier : « …réformez vous-mêmes…la loi s’interprète, elle dira ce que vous voulez qu’elle dise. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari… »

Dès lors, les juges du divorce vont appliquer la loi à leur manière. Ils n’ont pas apprécié la substitution de la « pension alimentaire » par la nouvelle « prestation compensatoire« . La protection  patriarcale est remplacée par « la disparité » qui défie l’égalité homme-femme.

La Justice, qui évolue moins vite que les mœurs, reste ancrée dans ce formatage familial qui veut que les femmes fassent et s’occupent des enfants, pendant que les hommes pourvoient à leurs besoins.
Comme l’a dit Simone de Beauvoir : dans la nuit des temps, c’est la force physique qui a imposé son pouvoir. C’est l’esprit et l’intelligence qui rééquilibrent les avantages immémoriaux.
Il n’y a pas plus de différence entre une femme et un homme qu’entre deux hommes hétérogènes sur le plan du discernement ou de l’ingéniosité. L’accessibilité à la réussite est unisexe.

La législation de 75 est incontestablement nataliste, visant le renouvellement des générations et le financement des retraites. Elle a un objectif de « compensation des charges de famille », une solidarité par réduction des inégalités de revenus entre personnes chargées de famille et sans enfants.

A cette époque, cette situation familiale, et la pénurie d’hommes suite aux guerres, suscitent de longues discussions parlementaires. On s’interroge sur l’opportunité de laisser les femmes travailler ou non. La politique fait le lien entre le temps et la pénibilité au travail et la fécondité féminine.
Les associations familiales, souvent pilotées par des magistrats ou avocats, trouvent appui sur l’Etat (UNAF). Finalement, les parlementaires encouragent le maintien des mères au foyer. L’avènement des allocations familiales complétera cette pression sur la législation du divorce.

A ces comportements spatio-temporels, il faut adjoindre l’observation de l’agitation ecclésiastique. A la suite du Concile Vatican II (1966), Jean-Paul II réaffirme « l’indissolubilité du mariage » dans l’article 20 de l’exhortation apostolique « Familiaris Consortio » publié en 1982. Il publie également l’article 48 de la Constitution pastorale « Gaudium et Spes » qui exige l’entière fidélité des époux et requière leur « indissoluble unité ». Fidélité perpétuelle. L’Eglise permet que les conjoints se séparent pour des motifs graves (violences). Toutefois, elle considère que le lien conjugal d’un mariage devant Dieu implique que chaque partie n’est pas libre de contracter un nouveau mariage tant que…. l’autre conjoint est en vie. « Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer »

Tout le monde comprendra que cette ambiance religion-législation va contribuer à construire un courant de pensée qui va s’imposer dans les jugements de divorce. L’étouffoir réglementaire est aux ordres et se fiche de l’évolution de la société.

Un quart de siècle plus tard, le législateur s’aperçoit qu’il a « déshabillé Pierre pour habiller Paul » en imposant (…) une rente viagère disproportionnée, à un travailleur qui se décourage, qui bataille pour récupérer le fruit de son travail auprès d’une lointaine ex épouse qui a refait sa vie (lois 2000-2004).
La prévisibilité de l’avenir dont il a crédité le juge s’avère totalement utopique. L’assistanat et la redistribution passive des 30 glorieuses n’ont plus court dans un environnement globalisé et hyper concurrentiel.

La justice veut ignorer les volontés et libertés de sociabilité des ex conjoints. La magistrature féministe s’égare en pensant défendre la femme contre l’homme. Comme la politique désuète, elle « compense » en place de remettre en selle
L’État se défausse de sa motivation intrinsèque originelle (1975) et oublie les fondements de la solidarité nationale au détriment de l’homme divorcé qui alimente une ex épouse jusqu’à la fin de sa vie.

Madame Taubira a légitimé l’émancipation des couples en promulguant « le consentement mutuel » hors des juges, mais elle a laissé aux magistrats le pouvoir de perpétuer le martyre des payeurs de la rente viagère.  

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