« C’est entre ce qui est le plus semblable que l’apparence fait les plus beaux mensonges » Nietzsche
Dans le cadre de la révision des rentes viagères (lois 2004 et 2015), nos lecteurs nous envoient des jugements de première instance (JAF) et d’appel.
Bien que le nombre ne constitue pas une valeur statistique forte, nous en retirons des tendances de fond intrigantes. Nous envisageons d’approfondir notre enquête par le biais de sociétés spécialisées en gestion de banques de données.
Le constat le plus criant, pour nous les débirentiers (98% hommes), c’est que la modification de la rente, parfois la suppression (article 276-3) intervient majoritairement sous l’autorité d’un juge homme. Nous allons vérifier cette « impression » grâce à l’open data (obligation des juridictions de répertorier tous les jugements). L’extrême féminisation de la magistrature pourrait constituer un conflit d’intérêt inquiétant pour les débiteurs masculins.
L’autre constat dominant apparaît dans les motifs des juges. Ces motifs sont primordiaux puisqu’ils sont censés expliquer la décision du juge.
L’article 276-3 fait état d’un recensement actualisé des ressources et des besoins des anciens divorcés. Surtout des ressources du débiteur, qui après avoir fait figure de mâle (mal) patriarcal, prend maintenant l’apparence du « riche », possédant-dominant, celui qui peut continuer de payer…
L’article 276-3 est très orienté sur l’observation des revenus du débirentier, puisque la rente ne peut qu’être diminuée ou supprimée, mais pas augmentée (donc aucun bénéfice pour le crédirentier, si ce n’est le… maintien du montant de la rente). L’amélioration de la situation de la crédirentière, rarement relevée, confirme la résistance de la Justice à « réviser » les jugements de ses pairs.
Les attendus des jugements (les motifs) tiennent d’un réquisitoire révolutionnaire guillotinant. On inventorie, sans intelligence, partialement, les biens et les revenus de Monsieur (Cour de Cassation, chambre civile, 27 juin 2018). Il a refait sa vie, il a continué à se battre dans un monde actif sans pitié, il travaille, il gagne, il économise, il consomme. La crédirentière se maintient dans son rôle de victime, attentiste, rien n’a changé depuis 20 ans (ou plus), elle vit avec la rente et quelques subsides d’état. Parfois, elle dissimule une activité souterraine, et même un concubin, qui pourraient l’empêcher de taxer son ex mari.
A l’énumération inquisitrice, qui représente l’essentiel du jugement, l’évidence judiciaire courante est qu’il n’y a pas de….changements IMPORTANTS !!! … Le fait du Prince absolu !
Cette sentence reflète plus un principe d’auto-explication que de raisonnement anticipatif. On est dans l’approximation et le simplisme. Comment peut-on prendre comme base de comparaison, pour : « examiner quelque chose à nouveau, pour corriger » (définition de « réviser« ), une situation vieille de 20 ou 30 ans ??!! Il y a forcément des changements environnementaux gigantesques sur un temps si long…
L’espérance de vie a augmenté de plus de 10 ans, la part des jeunes a baissé par rapport aux plus âgés, les femmes ont leur premier enfant beaucoup plus tard, l’indice de fécondité est en baisse, ainsi que les mariages civils, création et développement du pacs plus libre que le mariage, mariage homosexuel, 10 fois plus d’enfants de couples non mariés, explosion des divorces par rapport aux mariages, crise financière de 2008 et décroissance, augmentation du chômage, développement d’internet, télétravail, taux d’activité des femmes multiplié par deux, augmentation du minimum vieillesse et stagnation des retraites, mise en circulation de l’euro… etc…
Mais surtout, l’objectivité et le réalisme commanderaient d’analyser les propres volontés des anciens divorcés de s’intégrer dans cette société en mouvement, c’est un devoir citoyen et une responsabilité individuelle autant que collective.
Enfin, il faut se poser la question : « pourquoi le Législateur a voulu faire réviser les montants de prestations compensatoires viagères ? »
Fin des années 90 et début 2000, de nombreux rapports de l’AN et du Sénat indiquent que la loi de 1975 n’a pas été respectée dans son esprit. La magistrature et l’avocature sont restées dans l’émanation de la « pension alimentaire » qui est fondamentalement remplacée par la « prestation compensatoire ». Les meilleurs synonymes de compenser sont : dédommager ou indemniser et non subvenir ou secourir ; d’ailleurs l’article 270 dit : « le divorce met fin au devoir de secours« .
Entre 2008 et 2014, nombreux sont les parlementaires qui vont poser des questions au Ministre de la Justice. Un député (avocat), Jean-Yves Le Bouillonnec, en commission des lois, déclarera : « Je me demande à quoi correspond le paiement d’une prestation compensatoire tout au long d’une vie ? »
La rente viagère, qui a largement été attribuée par les juges entre 1975 et 2000 (à contrario de la loi qui préconisait le versement d’un capital), s’avère très mal évaluée dans un « avenir prévisible » qui ne l’est pas du tout. Elle va entrainer des situations difficiles pour les débiteurs et affaiblir la volonté d’autonomie des créditeurs surprotégés par une Justice mal à l’aise.
L’incertitude de la vie peut entraîner un débirentier à payer pendant 2 ans ou… 50 ans (c’est le loto). L’addition de choux et carottes-nombre d’années de mariage, revenus, diplômes, âges, retraites, santé, patrimoine- ne peut conduire qu’à des « appréciations » très différenciées. Sans compter des écarts discriminatoires avec les paiements « d’un seul coup », d’un capital payé pour les mêmes raisons.
L’article 33 VI, alinéa 1er, cette fois, concerne plus la crédirentière puisqu’il s’agit de déceler « un avantage manifestement excessif« .
La nébulosité de l’expression est la même que pour l’article 276-3. « Excessif » par rapport à quoi ?
Excessif : « qui excède la mesure ordinaire ou raisonnable » (Larousse)
?? Mesure ordinaire ??? Mesure raisonnable ???
Heureusement, en 2015, sous la pression notamment de notre mouvement, le législateur s’est voulu plus précis en ajoutant : « Il est tenu compte du montant et de la durée de la rente ».
La sémantique au forceps transpire l’esprit qui a présidé à ces textes. Revenir sur des jugements est un acte grave pour la Justice, et, disons-le, très exceptionnel.
Les demandes de révisions représentent une infime partie du nombre de rentes viagères (50 000). La magistrature s’est empressée de dire que les citoyens se satisfaisaient des jugements de divorce initiaux. Cela est totalement faux. Les débirentiers accablés par le poids de la rente hésitent à se présenter devant la justice pour trois raisons véritables :
-Les avocats n’encouragent pas à la révision et font montre de retenue non justifiée.
-La procédure de révision peut être très longue (appel, cassation), surtout pénible émotionnellement (les enfants communs ne comprennent pas toujours le demandeur, les familles se divisent).
-Les coûts à prévoir sont lourds : avocats + postulants qui ont remplacé les avoués (…), expertises. Les débiteurs sont très souvent en retraite et leurs revenus ont diminué. Leurs forces s’affaiblissent.
En matière de divorce, la Justice fait preuve de paralogisme, elle se meut dans un idéal narcissique (diminuer le dominant patriarcal). Elle se focalise sur les conséquences au détriment des causes. Elle ne rend pas la justice, elle fait de l’assistanat primaire et sexiste sans pédagogie.
C’est par cette vision judiciaire que l’on retrouve les maux de notre société.
« La France a fait le choix de l’égalitarisme, cad qu’elle ne cherche pas à multiplier les opportunités économiques pour sa population. Elle égalise les niveaux de vie par la redistribution. Ce faisant elle augmente l’inégalité, en entravant l’égalité des chances » Contrepoints.
« Alors qu’elle figure parmi les pays les moins inégalitaires en terme de revenus (après redistribution) la France accuse paradoxalement un niveau élevé d’inégalités des chances. Les inégalités sont corrigées uniquement par la redistribution. L’égalitarisme s’oppose à l’égalité. » France stratégie.
Les juges du divorce doivent s’asexuer et rejoindre une société mise en concurrence par des principes d’auto responsabilité et d’éthique économique. Dans un domaine aussi sensible sexuellement, pourquoi ne pas instaurer la parité des juges, parité si réclamée pour l’Assemblée nationale ?
En matière de divorce les attitudes doivent être totalement laïques autant qu’impartiales. Le mariage civil est un contrat imparfait qui entraine l’un des divorcés à subir une condamnation dont la cause lui est inconnue au moment de son engagement. « L’indissolubilité du mariage » vaticane ne fait pas loi. (Lire l’article)
Le système de l’égalitarisme du divorce judiciaire pousse les bénéficiaires proclamés à croire qu’ils ne sont pas capables d’autonomie sociale. Le levier c’est l’émancipation post-divorce qui conduit chacun vers un destin qu’il construit.
« Sauver les apparences » nous amène à la subversion que la socialité ordinaire entretient. La paresse intellectuelle fait que l’esprit s’arrête quand il a obtenu une « explication satisfaisante ».
C’est une question de confort intellectuel que de vivre dans l’inconnu ; accepter le doute est moins facile.
L’apparence n’est pas trompeuse, c’est le jugement qui peut-être erroné.
L’apparence est une croyance qui éloigne l’approfondissement.
Guy Benon
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